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Narbonne : Orano embourbé

 

Lorsqu’en 1956 le député socialiste George Guille décida de délocaliser l’activité de raffinage de l’uranium, il choisit sa région natale, l’Aude, pour dynamiser l’économie locale. Trois ans plus tard, de Gaulle inaugurera en grande pompe l’usine de Malvési, érigée à 3km à peine du centre-ville de Narbonne.

Un peu de technique 

De la mine où le minerai est extrait jusqu’à la centrale nucléaire, l’uranium voyage beaucoup et subit plusieurs transformations. Dans le monde, le Kazakhstan est le pays d’où on tire le plus d’uranium (42%), loin devant le Canada (13%) suivi de l’Australie (12%). Après son extraction, le minerai est exporté sous forme de concentré uranifère, appelé Yellowcake. 

En Europe, c’est le site de Narbonne Malvési qui le réceptionne et qui le transforme en tétrafluorure d’uranium (UF4 ). Chaque année 14 à 15 000 tonnes d’UF4 sont produits ici et sont ensuite acheminés en train jusqu’à l’usine de conversion Orano Cycle de Pierrelatte, puis enrichis à la centrale toute proche de Georges Besse II à Tricastin. De là, ils seront distribués vers différents sites de France et d’Europe afin de servir de combustible. Orano Malvési est donc, 65 ans après son inauguration, la porte d’entrée de l’uranium en Europe.

La plus grande décharge radioactive d’Europe

Pour purifier ce Yellowcake, le personnel de Malvési opèrent plusieurs processus physico-chimique et envoient les liquides qui résultent du procédé dans des bassins d’évaporation et de décantation. Le site possède 12 de ces bassins étalés sur 18 hectares. Actuellement, 350 000 m3 de boues liquides nitratées radioactives sont traitées là-bas. Depuis le début de son activité, le site a accumulé plus d’un million de m3 de déchets et sols contaminés. Et les bassins sont maintenant saturés.

« Au niveau de la quantité, Malvési est indéniablement la plus grande décharge d’Europe, si ce n’est au monde, de déchets solides (boues décantation) et liquides concentrés (effluents nitratés radioactifs). » précise à Blast André Bories de l’association RUBRESUS, qui mène une bataille juridique depuis 6 ans avec l’autre association COL.E.R.E pour que le géant de l’atome revoit sa copie.

Une question se pose : que faire des ces déchets ? Orano a prévu de les brûler et l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) pilotera le stockage des résidus. C’est le projet THOR (Thermal Organic Reduction) ou TDN en français (Traitement des Nitrates). Une technique made in USA qui n’a jamais dépassé le stade de l’expérimentation. Par ailleurs ce projet rejetterait « à raison de 12.000 m3/heure, l’équivalent de la pollution émise chaque jour par 48.000 véhicules diesels effectuant chacun 6 km, ou l’équivalent d’un tronçon du périphérique parisien», toujours selon RUBRESUS.

Pourtant, pour Orano «25 années de R&D et 10 millions d’euros ont été nécessaires pour identifier le procédé de traitement adapté (…) aux spécificités des nitrates. Plus d’une quinzaine de solutions ont été étudiées avant que les équipes retiennent un procédé développé pour le compte du DOE américain (Department Of Energy) par la société Studsvik dans le Colorado (…) Dans ce contexte, le procédé Thor est la solution technico-économique la plus adaptée pour traiter les effluents nitratés », peut-on lire à la page 61 de leur rapport d’information de 2021.

 
En cas de panne 
 

Autre souci, conçu à l’origine pour fonctionner au laboratoire national de l’Idaho aux Etats-Unis afin d’éliminer 3400 m3 de boues nitratées radioactives stockées actuellement dans trois cuves, le procédé TDN sur place n’a jamais été mis en route. « Ces cuves sont vieillissantes, et il devient urgent de traiter ces effluents qui risquent à tous moments de s’écouler dans une des plus vastes nappes phréatiques des Etats-Unis qui alimente en eau potable plusieurs millions d’américains, la Snake River », détaille l’association TCNA sur son site internet. TCNA ajoute qu’il sera « extrêmement compliqué d’intervenir en cas de panne, et c’est un vrai casse-tête pour les ingénieurs qui sont obligés de développer des robots en mesure d’intervenir en lieu et place de l’être humain dans un environnement extrêmement radioactif. »

Le 21 octobre dernier le tribunal administratif de Marseille a tranché en relevant plusieurs vices de procédure. Dans la liste, le juge constate notamment l’illégalité de l’avis de l’Autorité Environnementale (le même service instructeur a donné l’autorisation et l’avis), l’absence d’étude réelle de pollution des sols de tout le site Orano Malvési et l’absence de l’étude d’impact des déchets radioactifs (Traitement,stockage et transport)

Orano a douze mois pour fournir les documents. L’entreprise n’a pas commenté ce verdict. Les boues contaminées vont donc rester dans leurs bassins, jouxtant le canal de Cadriège et stockées à quelques encablures de Narbonne.

Crédits photo/illustration en haut de page :
Philippine Déjardins

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