« On a peur que ça nous pète à la gueule », s’emporte Fabrice Hurtado, le fondateur de Transparence des canaux de la Narbonnaise (TCNA). « On garde tous en tête l’explosion de l’usine AZF, à Toulouse, en 2001. Nous aussi, on craint l’explosion. Et, ce sera une catastrophe. » En colère, ce cheminot ne mâche pas ses mots contre Orano Malvési (ex-Areva), cette usine de purification de l’uranium, classée Séveso 2 « seuil haut », construite à trois kilomètres à peine de la sous-préfecture de l’Aude.
Dans le collimateur de M. Hurtado, le projet TDN, pour traitement des nitrates, qui intègre le procédé Thor (Thermal organic reduction) mis au point par l’industriel suédois Studsvik. Cette solution technique doit brûler, dans un four à 800 degrés, 350.000 m3 d’effluents liquides radioactifs, avec du charbon et de l’argile. Une fois transformés, ces résidus solides seront alors stockables par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
Si discrète en temps normal, cette usine se serait passée de ce coup de projecteur. Pourtant, implantée à Narbonne depuis 1959, elle n’est pas une usine anodine : avec 450 emplois, dont une centaine de sous-traitants, elle purifie un quart du minerai d’uranium naturel mondial, soit 500.000 tonnes stockées depuis sa création. Ce premier maillon de la chaîne de fabrication de l’énergie nucléaire dissout le concentré minier (yellowcake), acheminé des mines du Niger, du Canada, de l’Australie et du Kazakhstan, avec de l’acide nitrique. Ensuite, elle l’envoie à l’usine de conversion Philippe Coste, autre propriété d’Orano Malvési installée sur le site nucléaire du Tricastin (Drôme), pour qu’il poursuive sa transformation.
De ce processus chimique mené sur le site audois, il reste des impuretés : les boues, qui contiennent des traces d’uranium, sont envoyées dans des bassins de décantation et les effluents liquides nitratés, eux, dans des bassins d’évaporation. Mais, à ce stade, il reste encore des déchets dont il faut se débarrasser. Pour l’industriel, le projet TDN est la solution.
40.000 m3 de rejets atmosphériques
André Bories, de l’association environnementale Rubresus, n’est pas de cet avis. Il a épluché le projet TDN détaillé dans l’enquête publique en 2016 et, depuis, il voit rouge. Il estime que 40.000 m3 de rejets d’oxydes d’azote, de composés organiques volatiles et de particules fines seront vaporisés dans l’air, toutes les heures. De plus, selon lui, une interrogation n’est toujours pas tranchée. « Où va la radioactivité ? », s’alarme-t-il.
« Ce projet a fait l’objet d’une étude d’impact et des études sanitaires », assure de son côté la préfecture de l’Aude. « Des contrôles seront réalisés régulièrement après le démarrage de l’activité. Cela ne veut pas dire que des études préalables n’ont pas été opérées pour s’assurer que le niveau d’émission théorique de cette installation serait bien conforme à la réglementation en vigueur. »
Cette réponse est loin de satisfaire les opposants qui, inquiets, essayent d’obtenir les annulations de l’autorisation préfectorale, accordée en novembre 2017, et du permis de construire. Déboutées par le tribunal administratif de Montpellier, elles font l’objet d’un recours déposé fin 2020 devant la cour administrative d’appel de Marseille (Bouches-du-Rhône).
TCNA affûte aussi ses arguments, qui seront défendus devant cette même juridiction mais avec une autre ligne de défense. « Je suis Monsieur de la rue, on me prend pour un imbécile mais je tente de comprendre », admet cet habitant de Narbonne. « Alors, avec l’association, nous sommes allés vérifier dans deux usines aux États-Unis que le procédé Thor est en état de marche. Or, depuis 2012, il ne fonctionne pas. L’industriel nous ment. On combat quelque chose qui ne marche pas, avec nos arguments, sur le terrain. »
Projet à 100 millions d’euros
L’industriel, lui, assure que TDN est « un projet purement environnemental », qui s’appuie sur deux expertises conduites par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et la branche chimie du CNRS. Mandatées par le préfet de l’Aude en 2017, elles concluent que « TDN est la seule technologie existante adaptée », rapporte le groupe. « Ce projet de 100 millions d’euros a pour vocation de supprimer les risques d’inondation des bassins (dans lesquels sont stockés les effluents, en partie radioactifs, NDRL) », explique Daniel Bect, le dirigeant du site narbonnais.
Si la phase d’étude de TDN est terminée, les travaux ne sont toujours pas lancés en raison des contentieux juridiques.
Audrey Sommazi
Sur la photo de Une : Le site d’Orano Malvési se déploie sur une centaine d’hectares, à trois kilomètres de Narbonne.
Sur la photo numéro 2 : Fabrice Hurtado, le fondateur de l’association Transparence des canaux de la Narbonnaise (TCNA).
Sur la photo 3 : Les fûts dans lesquels est stocké le minerai d’uranium. Au deuxième plan, les bassins d’évaporation et de décantation.
Sur la photo 4 : Daniel Bect, le dirigeant du site narbonnais, dans les locaux de l’industriel.
Crédits Rémy Gabalda-ToulÉco.
En complément :
L’atelier de fabrication de dioxyde d’uranium, appelé Nouvelle voix humide (NVH) puis rebaptisé par le groupe UO2, entrera en service au second trimestre 2022. La production est destinée à l’usine Melox de Marcoule (Gard).
Pour Orano Malvési, ce projet de 60 millions d’euros permettra de produire 150.000 tonnes supplémentaires d’uranium par an, contre 15.000 aujourd’hui, et de créer une soixantaine d’emplois. « Je suis fier. Car nous relocalisons cette activité en France », se félicite Daniel Bect. Des arguments qui ne convainquent pas les associations. En juillet 2020, elles ont déposé un recours en appel contre l’autorisation de la production.
« Cela rajoute de la pollution : + 40 % de rejets d’uranium dans l’air », insiste M. Bories. « On constate que l’usine veut pérenniser son activité et qu’elle se diversifie. Mais on ne sait pas ce qu’elle va balancer dans l’air », s’interroge une porte-parole du collectif de riverains Colère, qui regrette que ce projet n’ait pas été soumis ni à une enquête publique, ni à une étude d’impact. « L’industriel fait passer la pilule sans bruit. Et, nous, on sert de cobayes. »
« L’exploitant a en effet dû déposer un “porter à connaissance” avant de pouvoir débuter l’activité », reconnait la préfecture de l’Aude qui complète : « Ce document analyse bien les impacts du projet sur l’environnement et propose des mesures de maîtrise de ces impacts. Et il a été constaté que le projet n’était pas susceptible d’engendrer un impact notable sur l’environnement et que l’activité restait conforme aux prescriptions de l’arrêté préfectoral d’autorisation délivré initialement à Orano. »